Depuis deux décennies, l’industrie du jeu vidéo constitue l’un des secteurs qui recrutent le plus en Corée du Sud. Les jeux, innombrables, requièrent un processus créatif long qui mobilise des dizaines de salariés et des compétences complexes à renouveler sans cesse. À partir de données ethnographiques recueillies lors d’un terrain mené au tournant des années 2010, nous chercherons à définir les spécificités d’une industrie pensée comme étant en rupture radicale avec la culture d’entreprise classique en Corée. Non seulement le secteur vidéoludique représente de nombreuses opportunités d’emploi, mais il attire beaucoup de jeunes Coréens désireux de transformer leur passion en métier. L’idée d’un travail-passion se combine avec une forme d’organisation qui repose sur une division du travail poussée, une forte segmentation des tâches, une planification précise de la chaîne opératoire censée aboutir à une efficacité technique maximum. Pourtant, cette organisation élaborée est contredite quotidiennement par des retards, des erreurs et des conflits qui sont, eux aussi, considérés comme relevant de la norme, voire de la nécessité en raison de la fragilité de l’objet et de l’entreprise. Ces imprévus systématiques contribuent à ériger l’urgence en norme, soutenue à la fois par l’idée d’un travail-passion justifiant les sacrifices et par une ambiance réputée plus détendue et amicale que dans les entreprises ordinaires. Les relations professionnelles et les relations d’affinité s’avèrent difficiles à démêler ; la gestion de l’urgence mobilise des composantes sociales qui relèvent à la fois de l’organisation professionnelle et d’affinités qui débordent largement l’entreprise. La hiérarchie tente d’encadrer et d’encourager ces relations d’affinité pour renforcer les relations au sein d’une équipe. Si les employés regardent ces tentatives de récupération avec dédain, on peut se demander si ces techniques de management n’ont pas une certaine efficacité, dans la mesure où elles renforcent certaines croyances, en particulier la nécessité des heures supplémentaires, de l’urgence, de l’engagement, et de la qualité, indépendamment des conditions de travail.
Chloé Paberz
Maître de conférences à l’Inalco (Ifrae)
Date et horaire :
Mardi 8 février 2022 de 10 h à 12 h (heure de Paris)
La conférence se tiendra en ligne.
Pour y participer, merci de contacter les organisateurs.
Contact :
César Castellvi, Julien Martine
À propos de la conférencière
Chloé Paberz est anthropologue, membre de l’Institut Français de Recherches sur l’Asie de l’Est (CNRS – Inalco – Université de Paris) et maître de conférences au département d’études coréennes de l’Inalco. Docteure en ethnologie de l’Université Paris Nanterre, elle a réalisé sous la direction de Laurence Caillet une enquête ethnographique de dix-huit mois sur l’industrie du jeu vidéo en Corée du Sud qui éclaire la place des dispositifs informatiques dans la définition d’une modernité sud-coréenne très marquée par une quête d’innovation technique. Ses recherches postdoctorales ont porté sur les réseaux d’artistes contemporains et sur les trajectoires de travailleurs des industries créatives (dessinateurs de manga et manhwa, sculpteurs de figurines, etc.) en Europe et au Japon. Ces enquêtes visent à questionner la manière dont les bouleversements techniques (procédures, nouveaux matériaux, organisation) redéfinissent le rapport, matériel et idéel, des individus à leur travail. Elle explore aujourd’hui cette question en étudiant les mutations contemporaines du travail du bois, matériau qui témoigne d’une conception particulière et changeante du vivant.
Lien vers le poster de la conférence ici.
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